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Les effroyables expérimentations médicales de scientifiques dévoyés, au KL Natzweiler



Pour commencer, il faut savoir que l’université française est repliée à Clermont-Ferrand depuis 1939. Ainsi la Reichuniversität de Strasbourg, inaugurée le 23 novembre 1941, est, elle, une pure institution nazie. Sa faculté de médecine compte 38 enseignants dont trois vont commettre le pire, prétendument au nom de la science. C’est le KL Natzweiler qui devient le terrain de jeu de ces bourreaux. Il s’agit d’ August Hirt, d’Otto Bickenbach et d’ Eugen Haagen. Cela est tout à fait inédit : en effet, si des expérimentations criminelles et médicales ont été pratiquées dans plusieurs camps de concentration nazis, elles étaient le fait de médecins SS des camps. Ici, ce sont des professeurs d’une université, donc externes au système concentrationnaire, qui utilisent le camp à proximité, pour développer leurs recherches.


  • August Hirt

Le professeur Hirt est un fervent nazi, officier SS et proche d’Himmler . A la Reichuniversität, cet éminent anatomiste détient la chaire d’anatomie-histologie-embryologie et dirige l’institut d’anatomie.

Dès le 25 novembre 1942, il pratique sur des détenus du KL des expérimentations à l’ypérite (le fameux gaz moutarde utilisé pendant la première guerre mondiale). Il envoie sur place son adjoint, le Dr Karl Wimmer pour sélectionner une dizaine de détenus qu’il expose au gaz. Isolés dans une section spéciale de l’infirmerie du camp, ces détenus reçoivent des gouttes de ce gaz à l’état liquide sur les avants-bras, ce qui occasionne de terribles brûlures. En réalité, l’objectif est de créer un traitement préventif et curatif à base de vitamines. On est ici dans le cadre d’une recherche appliquée à la guerre : celle d’un antidote qui pourrait être utilisé par les soldats de la Wehrmacht en cas d’usage des gaz de combat par les Alliés. Au moins trois détenus perdent la vie à la suite de ces expérimentations.

Mais Hirt est surtout tristement connu pour les gazages réalisés au KL. Dans le cadre de l’Institut Ahnenerbe - qu’on peut traduire par “Héritage des ancêtres”- fondée dès 1935 par Himmler et qui est censé être une “Société pour l’étude du patrimoine ancestral allemand” (c’est en quelque sorte un organisme de financement des recherches), Hirt propose dès 1942, dans une lettre à Himmler, de constituer une collection anatomique de spécimens juifs. En effet, la “Solution finale” est en cours et il convient de conserver une trace de ce qu’est le Juif.

Je le cite ici : “Nous avons la possibilité d'acquérir un document scientifique tangible en nous procurant des crânes des commissaires judéo-bolchéviques qui incarnent la sous-humanité la plus répugnante mais caractéristique. La Wehrmacht devrait avoir l’ordre de remettre à la police militaire les commissaires judéo-bolchéviques capturés, de faire des photos et des mesures anthropologiques puis de les mettre à mort, séparer la tête du corps sans abîmer la tête, la mettre dans un récipient contenant un liquide de conservation et l’adresser à son Institut de la Riechuniversität de Strasbourg”.

La chambre à gaz, construite au printemps 43, dans l’ancienne salle des fêtes de la dépendance de l’auberge du Struthof, va être modifiée pour Hirt à l’été 1943 et utilisée à cet effet. Le 12 avril 1943, Kramer, le commandant du camp, informe que la “G-Zelle” (c’est-à-dire la cellule à gaz et on remarquera le mot “gaz” est élidé) est prête à fonctionner. Les cobayes vont alors être amenés de Pologne, du camp d’Auschwitz-Birkenau (où les Juifs déportés pour des raisons raciales sont alors envoyés et où la plupart sont exterminés par le gaz Zyklon B.), où ils ont été sélectionnés selon des critères raciaux par des anthropologues nazis. 86 Juifs (50 hommes et 36 femmes) arrivent début août 1943 et sont gazés. C’est Kramer qui va perpétrer le gazage, réalisé avec des sels (ou cristaux) cyanhydriques. Celui-ci a lieu en 4 vagues successives, les 11, 13, 16 et 18 août 1943. Cette opération meurtrière est réalisée dans le plus grand secret, de nuit, et elle ne figure dans aucun document officiel du camp.

Il faut attendre 2003 pour enfin connaître le nom de ces victimes -qui n’ont pas été immatriculées à leur entrée dans le camp- grâce à l’historien allemand Hans-Joachim Lang et 2005 pour l’inauguration des premières plaques en la mémoire des 86 (comme on les appelle maintenant) : l'une devant l'Institut d'anatomie de Strasbourg, l'autre au cimetière israélite de Cronenbourg et une troisième à l’intérieur de l’ancienne chambre à gaz.



Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En janvier 2015, le médecin et chroniqueur Michel Cymes affirme dans son ouvrage Hippocrate aux Enfers que l'Institut universitaire de Strasbourg conserve encore des restes humains des 86. Cette allégation crée alors une importante polémique, notamment au sein de l’université où l’on affirme qu’il ne reste absolument rien de ces monstrueuses expérimentations, ce qui va déboucher sur la constitution d’une commission indépendante et internationale (qui a rendu ses travaux en mai 2020).

Toujours est-il que le médecin et chercheur Raphaël Tolédano confirme cette macabre hypothèse en juillet de la même année par son incroyable découverte : plusieurs bocaux contenant des restes de victimes juives gazées au Struthof sont bien conservés à l'institut d’anatomie de l’université de Strasbourg. Mais il est important de préciser qu’il ne s’agit pas de restes conservés dans les collections de l’institut à des fins d’enseignement ou de préservation, ou autre. Ce sont des restes que le médecin légiste, mandaté par la justice militaire en 1945, le Pr. Camille Simonin, a gardés comme pièce à conviction pour les procès d’après-guerre, à Metz (1952) et Lyon (1954). Simonin avait été chargé de procéder aux autopsies médico-légales des 86 dont les corps ont été retrouvés par les Alliés début décembre 1944 dans des cuves de l’institut d’anatomie de Strasbourg. Comme ils avaient été découpés par Hirt avant sa fuite de Strasbourg, il s’agissait notamment de “recoller les morceaux” et de fournir une base juridique claire pour les procès. Cet événement aura au moins permis de faire connaître au grand public le camp du Struthof, de mettre en lumière ces expérimentations médicales et de donner un nom aux 86. Je vous encourage d’ailleurs vivement à regarder l’excellent documentaire réalisé par Emmanuel Heyd et Raphaël Tolédano “Le nom des 86”.



  • Otto Bickenbach

Le professeur Otto Bickenbach, quant à lui, est professeur de médecine interne. Il va, lui aussi, utiliser la chambre à gaz. C’est d’ailleurs lui qui l’utilise en premier, au printemps 43.

Il étudie l’action de l’urotropine comme traitement préventif contre le gaz de combat appelé phosgène (dont il avait pourtant trouvé l'antidote avant la guerre). À partir de juin 1943 et avec l’accord d’Himmler, il utilise des détenus pour étendre ses travaux de l’animal à l’homme dans la chambre à gaz du camp construite expressément pour ces expérimentations. Lors des dernières séries expérimentales en juin et août 1944, parmi les 40 détenus concernés - dont 16 Tsiganes -, certains sont exposés à des doses mortelles de phosgène. Le rapport final remis à Himmler fait état de la mort de quatre détenus en raison d’oedèmes pulmonaires aigus, provoqués par le gaz toxique. Quatre autres détenus contraints à participer aux expériences meurent des suites de lésions pulmonaires causées.

L’un des rescapés témoigne : “Au bout de dix minutes environ, j’ai entendu un bruit sourd - comme si on frappait des mains - C’était les poumons des deux détenus qui tournaient autour du ventilateur qui avaient “éclaté” et par leur bouche sortait une écume brunâtre, de même que par leurs oreilles et nez.”



  • Eugen Haagen

Eugen Haagen, professeur d’hygiène et de bactériologie, fait une carrière de renommée mondiale dans le domaine des maladies infectieuses et des vaccins (fièvre jaune, typhus, grippe, hépatite). Il participe d’ailleurs à la réalisation du vaccin Cox-Gildemeister-Haagen contre le typhus en 36.

D’autre part, il intègre dès 33 les services d’hygiène du Reich puis adhère en 37 au NSDAP (parti national-socialiste des travailleurs allemands). En 41, il est appelé à la Reichsuniversität de Strasbourg. Après avoir initié les premières séries d’expériences au camp de sûreté de Schirmeck-Vorbruck (à quelques kilomètres du Struthof), il teste à partir de janvier 1944 un vaccin inédit contre le typhus exanthématique et cherche à découvrir la cause de l’hépatite épidémique au KL Natzweiler. En effet, il n’est pas totalement satisfait du vaccin créé avant-guerre.

Il commande alors à l’Office central de la SS une centaine de « sujets indignes de vivre » en août 1943 et la SS autorise spécialement pour lui la mise à disposition et le transfert de 189 détenus du camp d’Auschwitz, au KL Natzweiler. Parmi eux, deux convois de tziganes. Ces déportés doivent servir de « matériel humain » pour ses essais cliniques de vaccination. Il va alors inoculer ainsi le typhus à sujets sains, déjà protégés ou non par le vaccin, dans des conditions sanitaires absolument abominables. recherches de vaccins anti-typhus, Résultat, ces expérimentations auront surtout pour effet de propager le typhus dans le camp en avril-mai 1944.

Le nombre de ses propres victimes n’est pas encore déterminé, mais on sait que plus d’une quarantaine ont trouvé la mort (soit ¼ qui meurt, sans compter les effets ravageurs du typhus lors de l’épidémie du printemps 44).


En conclusion, il convient d’insister sur le fait que les expérimentations de ces médecins dévoyés n’ont absolument rien apporté à la science. Mais il ne s’agit pas non plus de “pseudo-médecins” ou d’expériences “pseudo-scientifiques” (comme on peut parfois le lire) dans la mesure où ce sont de véritables pointures dans leurs domaines qui effectuent ces recherches, qui obéissent aux protocoles scientifiques, à ceci près (et ce n’est pas un détail de l’histoire) que ces expérimentations ont été faites sur des humains !

Voici quelques preuves de leur inutilité : en septembre 1944, Hirt n’a toujours pas touché aux cadavres des 86 -qui sont alors partiellement incinérés pour éviter de laisser des traces- Bickenbach n’a absolument rien prouvé et le vaccin de Haagen -qui est encore en usage de nos jours- est celui qui avait été découvert dès 36. D’ailleurs celui-ci se gausse de n’avoir rien fait d’autre que de chercher à protéger les détenus du typhus, et se flatte que ses “patients” n’aient pas attrapé le typhus dans les autres camps, dans lesquels ils ont pu être envoyés.


Qu’arrive-t-il après guerre à ces médecins dévoyés ?


Après s’être réfugié en forêt noire, Hirt se suicide en 45, en en disant que sa vie n’a servi à rien. Quant aux deux autres, ils sont jugés en 1952 lors du procès des médecins nazis et condamnés aux travaux forcés à perpétuité, puis leur peine est ramenée à 20 ans. En l'occurrence, ils n’en feront que trois puisqu’ils sont amnistiés dès 1955 et qu’ils continueront à exercer comme médecin en Allemagne, sans être inquiétés. Pour la blague, Haagen écrit à sa femme pendant son emprisonnement : “Sans ces maudits Français qui me retiennent enfermé, je serais Prix Nobel.”


Pour finir, je voudrais aussi mettre en lumière le fait que les expérimentations d’Hirt et de Bickenbach n’ont pas été pratiquées sur des détenus politiques du Struthof (ce qui aurait été bien plus facile et bien moins coûteux) mais très majoritairement sur des déportés “raciaux”, à savoir des Tziganes et des Juifs. Elles font donc absolument partie du projet génocidaire des Nazis dans la mesure où les sujets utilisés ne sont pas considérés comme des êtres humains mais comme du “matériel scientifique”.



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