Faire un voyage sur les traces des Juifs de Thessalonique nous confronte à une cruelle absence, l’absence étant toujours la présence que l’on ressent le plus intensément. Face à ce palimpseste, où nous aurions très peu à gratter pour parvenir au texte d’origine qui nous raconterait l’histoire d’une communauté foisonnante, communauté à 97% exterminée. Nous entendons comme les échos d‘un monde disparu… À Thessalonique, les nazis non contents d‘avoir le projet d‘exterminer les vivants, voulaient même effacer la mémoire des disparus, notamment en détruisant le cimetière juif, où se trouve actuellement l’université Aristote. Les pierres tombales, laissées à disposition par les nazis étaient alors utilisées par les Grecs ; par exemple pour l‘église Sainte Sophie, des officiers nazis ont même poussé la perversité jusqu’à se construire une piscine avec ces pierres. Un monument mémoriel se trouve à présent à l’université, de même que ces rails devant le musée juif, ou cette plaque mémorielle à la gare qui emporta les juifs de Thessalonique vers leur mort. Et à Veria, se dresse cette synagogue rescapée de la destruction, qui chante avec mélancolie ses juifs disparus (seulement 3 survivants sur environ 600) ; la rivière coule à côté, comme les larmes de consolation à la mémoire de toute une communauté… Ce lieu simple et fort murmure ses chants à travers le bruissement de l’eau aux oreilles de celles et ceux qui en passent le seuil. J’ai eu la chance de faire résonner ma voix et probablement d’autres voix à travers la mienne face à cette femme grecque si touchante qui prend soin du lieu. Le travail de mémoire est encore nouveau ici… Loin d’être achevé, les tombes en ladino des restes du cimetière de Veria, en contrebas duquel se trouve un terrain de football, témoignent toujours de cet attachement viscéral à cette langue héritée du castillan emportée dans les valises des séfarades expulsés en 1492 de la péninsule ibérique. La Shoah aura déclenché peu à peu l‘agonie du judéo-espagnol qui a pourtant traversé les siècles et qui résonne encore dans les chants et les proverbes révélateurs d‘une culture riche et profonde… D’ailleurs comme en écho à cette mémoire d’Andalousie, j’aurais pu vivre cette expérience personnelle d’une intensité indescriptible pour qui travaille sur ce répertoire, de chanter en djudesmo en présence et avec Rina Revah, survivante de Bergen Belsen avant son témoignage, qui restera gravé en moi. Il ne me sera plus possible de chanter en judéo-espagnol sans y penser, tout d’abord « la Serena » que lui chantait son père et « S‘agapo », en grec cette fois, illustrant un attachement à la Grèce tout aussi important. Quelle force de caractère, que de lumière, quelle vivacité tout en simplicité, pudeur et lucidité, j’ai pu percevoir chez cette dame courageuse !
Ce périple bouleversant manifeste l‘ampleur de ce qu‘il reste à faire pour conserver la mémoire, mais aussi pour imaginer un nouveau futur.
Tout cela s’est déroulé dans une sorte d’alchimie remarquable entre les lumières d’Anastasio Karababas, spécialiste de l’histoire des Juifs de Grèce, qui partage ses connaissances avec générosité et celles de notre guide sur place Xrysi Velkoudi, sous l’impulsion et avec l’énergie d’Audrey Alcabes de par son association Poussières d'étoiles.
Le voyage continue alors pour chacun, en dehors et en dedans tout autant, pour faire vivre la mémoire de toutes ces poussières d'étoiles qui ne cesseront jamais de briller au fond de nous "ledor va dor", de génération et génération).
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